de l'ordre du divin
Il a lâché le prénom dans la conversation parce que je ne comprenais pas bien son récit où se mêlaient soudainement deux femmes différentes, des "elle" que je distinguais mal et qui de toute évidence ne constituait pas la même personne. Comme je me perdais dans ce qu'il me racontait, il me dit sur l'air de l'évidence - non non il s'agit de Nathalie...je tentais de me souvenir s'il l'avait nommée auparavant devant moi, ou peut-être dans un mail...Avant notre dîner en tête à tête, quand je l'évoquais, je disais "ton Château d'Espagne, comment va-t-elle ?".
Il ne m'a rien dit d'autre sur elle ni d'elle, il a beaucoup parlé d'eux, de la situation actuelle impossible, d'un mari et d'enfants, de kilomètres, d'une autre ville et une ville étrangère, de lui et de son besoin d'amour au quotidien, de présence, de sa naissance au monde depuis elle, de leur premier week-end à deux sur la plage de Colliour, en vrac. Mais rien d'elle, rien sur elle, Nathalie. Je me taisais beaucoup, sauf quand quelquefois il voulait mon avis, ou que je le voyais passer à côté d'une idée évidente, ou que je souhaitais le faire réagir sur une autre. Parfois je racontais mon amour, mon homme que je prénommais aussi au détour de la conversation. Je ne posais pas de question sur elle, je le laissais parler d'eux.
Il a effleuré quelques mots sur la passion sensuelle qui les unissait, l'évidence sexuelle telle que je l'ai connue, torride, il gesticulait quand il souhaitait souligner des mots qui ne lui semblaient pas assez grands pour raconter l'énormité d'une telle rencontre, l'énormité de l'amour par le corps. Juste quelques mots qui ne dévoilaient rien du détail. Rien de particulier qui m'aurait révélé la nature de Nathalie. Je ne posais toujours pas de question.
Si blonde ou brune elle portait les cheveux longs, courts, détachés, attachés, tout en boucles, raides. Si elle l'accueillait en robe ou en jupe, si elle préférait les pantalons, si ses ongles, elle les soignait, si elle se maquillait, si petite ou grande, si ronde ou maigre. Qu'aimait-il d'elle ? S'il m'avait dit, elle est blonde, j'aurais deviné autre chose, j'aurais deviné peut-être qu'il aime plonger ses doigts maladroits dans ses boucles, j'aurais su qu'il oubliait de la coiffer mais qu'elle aurait désiré qu'il le fasse. Peut-être. Il ne m'a rien laissé entendre de tout cela. Ni comment ils s'embrassaient, devait-il la porter un peu à sa hauteur pour l'étreindre ? Laissait-elle son poids à elle se plaquer contre son corps à lui quand après de longs mois de séparation ils se retrouvaient ? La prenait-il par les hanches, le dos, la courbe des fesses ? Criait-elle quand elle jouissait ? Dans quoi elle travaillait pour gagner sa vie ? Fumait-elle aussi ? j'imagine que oui, tout comme lui. Ou peut-être que non, puisqu'il veut arrêter dans deux mois.
Par déduction j'ai fini par comprendre aussi qu'elle suçait, qu'elle le suçait. Je me suis demandée ce qu'elle en retenait, quand loin de lui, elle retrouvait son foyer ? Se masturbait-elle en hapant l'air de sa bouche comme s'il lui tendait sa chair turgescente et qu'à cette simple image ses doigts accéléraient leur mouvement pour précipiter et retenir la délectation finale ? Aimait-elle lui tendre son cul avant tout le reste ? Portait-elle des bas ? Gardait-elle son soutien-gorge pendant l'étreinte, duquel dépassait le bout du téton, et qu'à la simple vue de ce débordement, il débordait lui aussi sur elle, en elle aussi peut-être. Se laisserait-elle aussi gifler coupable et jouissive s'il levait la main sur sa joue pour la punir de le laisser vivre seul à Paris ? Jouirait-elle si sur ses fesses rebondies il la cravachait à l'aide de sa ceinture ? Gémit-elle seulement sous ses caresses ? Venait-elle se blottir tout contre son flanc avant de s'endormir ? Avait-elle pleuré d'amour ?
Nathalie a appelé pendant le repas. Je ne savais pas qu'elle appelait, le mobile sonnait. Il n'a pas voulu répondre tout de suite. Je lui ai dit, tiens vas-y réponds, moi je dois passer aux toilettes. Quand je suis revenue, ils discutaient tous les deux. Il a raccroché, il m'a dit c'est Nathalie, elle sait que nous dînons tous les deux, tu sais elle m'a appelée quand elle avait lu ton texte, celui qui parlait de présent qui enculait l'éternité, elle m'a appelé, elle m'a dit : ça ne te rappelle pas quelqu'un. Il m'a regardée, il m'a dit, oui bien sûr ça nous a rappelés nous.
Je crois que cela était gratifiant, ce reflet dans mon écriture. Ce reflet dans mon histoire. Ce couple virtuel, ce couple qui venait se réfugier ici dans l'abri clair obscur, comme autrefois je prêtais ma chambre de 9m2 aux amants de passage que je connaissais. Mes mots qui viennent de je ne sais où, mais qui seront ancrés dans la mémoire de leur histoire...ah mais c'est de l'ordre du divin! aurait répété la mère de Nathalie, complice elle aussi de leur histoire. Les couples illégitimes créent leurs propres anges-gardiens. Mes mots pour la première fois portaient des ailes longues et blanches, et puisqu'ils ne me porteront jamais, qu'ils les portent, eux aussi loin qu'ils pourront s'aimer.
Voilà ce sera ma dernière note ici, merci à vous tous.